" Une démocratie doit être une fraternité ; sinon, c'est une imposture."
Saint-Exupéry : Pilote de Guerre
Ce qui sépare ou distingue les pays du monde développé de ceux du tiers-monde n’a jamais été la richesse. Plusieurs pays du Sud ont des potentiels et des richesses qui dépassent de loin ceux de certains pays riches. Deux éléments constituaient jusqu’à présent l’essentiel de la différence entre ces deux blocs de pays : la première est la place donnée au peuple dans la décision publique, ce qui s’apparente à la démocratie ; la seconde est la gestion des affaires publiques, ce qui se nomme la bonne gouvernance.
La richesse n’a pas de valeur en elle-même, elle ne l’a jamais eu que pour une certaine conception de la vie qui a toujours existé dans la vie des hommes et qui était et est toujours considérée comme déviante puisqu’il fait passer le bien matériel avant l’humain. La valeur de la richesse réside dans le bien-être qu’elle peut engendrer pour une grande partie de la population.
Vivre dans un pays développé correspondait à cette idée de vivre mieux que dans un pays sous-développé, de là s’inspirent ceux qui s’offrent à la mort pour pouvoir vivre dans les pays de la partie nord de la terre. Mais, ce bien-être existe-t-il toujours dans ces pays ? Ces derniers ont-ils toujours le potentiel démocratique et de bonne gouvernance qui leur ont permis de faire vivre leurs citoyens dans des conditions meilleures que dans les autres parties du monde, aux dépens de ces derniers, bien sûr ?
La montée des populismes doit être étudiée scientifiquement par rapport aux potentialités des pays du Nord, par rapport aux attentes des populations et par rapport aux élites de ces pays (nous en parlerons ailleurs). Mais nous nous arrêtons à ce qui s’appelle désormais en France « la crise des Gilets-jaunes ».
Au-delà d’une crise sociale, cet événement, qui « secoue » la France et attire l’attention partout dans le monde, révèle une grande crise politique aux niveaux de la démocratie et de la gestion. Malheureusement la France n’est qu’un exemple parmi d’autres. Où réside la crise ?
D’abord dans la conception de l’Etat dans l’esprit de ceux qui dirigent le pays. Cette conception a été fortement bousculée par la revendication de base des Gilets jaunes. « Vous gouverner, mais vous ne régnez pas à ce que nous sachons ; et pour cela, vous devez demander notre avis pour les grandes décisions ». « Pas question ! Sinon Jojo Gilet-jaune va se prendre pour l’égale des ministres ! » Hop ! La démocratie française basée sur la liberté, l’égalité et la fraternité est en train de s’évaporer. « Les casseurs se soulève contre la République ! » « La République est maintenant l’Empire des Bourgeois ». 1848 se répète en 2018. La République doit passer avant les Citoyens qui la constituent. Ce type de discours réapparait en France alors qu’il était exclusivement réservé aux dictatures du tiers-monde : il y a toujours un ennemi de l’Etat, du Gouvernement et du peuple (eh ! oui, lui aussi) qui se cache derrière les revendications et puis ceux qui se soulèvent et qui revendiquent ne sont pas le peuple et ils ne représentent pas le peuple, même si on arrive au pouvoir par les falsifications ou par 16% des voix enregistrées sur les listes électorales.
Ensuite, dans le débat public qui accompagne les protestations. Dans un pays proprement démocratique on écoute les doléances de ceux qui revendiquent même s’ils sont une minorité (on le fait encore avec plusieurs minorités, mais pas avec « les minorités économique » qui constituent la majorité de la population). En France de 2018-2019, le débat public, sur les différentes chaînes de télévision, les radios, la presse écrite et les réseaux sociaux, se plait à aller dans la dérive. Heureusement pour lui, il y a eu des casseurs, des anarchistes qui jouissent de l’occasion, mais qui en font jouir beaucoup d’autres. Comme dans les pays sous-développés, le débat ne porte plus sur les revendications des manifestants, sur l’essentiel des demandes. On ne débat plus sur les causes, sur les difficultés qui ont poussé les gens à faire des requêtes, ni même sur ses requêtes. On parle toujours des à-côtés. C’est plus reposant et ça n’exige rien. On va même plus loin, c’est-à-dire « on prend plaisir à » s’écarter du vif du sujet. Les casseurs, c’est un bon sujet de remplacement ; l’est aussi la présence ou l’absence de ceux qui veulent récupérer le mouvement ; il y a aussi les pauvres policiers qui doivent tabasser les méchants manifestants et qui doivent trouver des solutions à la crise qui devient soudainement sécuritaire, et n’est plus socio-économique et socio-politique ; et puisqu’ils ne sont pas parvenus on va avoir recours à l’armée, tout comme aurait fait une dictature d’Afrique, d’Amérique Central ou du Sud ou d’Asie. On ne se rend nullement sue les pauvres policiers sont doublement pauvres : parce qu’en fin de compte ils ont les mêmes revendications sociales et économique, et ils tabassent ceux qui comme eux auront des difficultés à acheter du tabac.
Puis, la crise apparaît dans les réactions de la classe politique. Dans l’Empire des Bourgeois, un Victor Hugo ou un Lamartine se sont joints, contre le peuple, à l’ordre et à la République de Louis Bonaparte qui allait devenir l’empereur Napoléon III. La classe politique n’est pas seulement partagée, mais elle est déboussolée, non seulement par rapport à la crise, mais par rapport à toute la vie politique. Le peuple devient un simple moyen pour créer une classe politique qui use du droit de la représentativité et profite de ce pouvoir pour décider contre le peuple qui est à la base de toute l’opération politique, mais qui n’y participe qu’une fois tous les quatre ou cinq ans.
La classe politique ne s’attendait pas à ce que, dans un pays démocratique comme la France, le peuple « se soulève » et demande une vraie démocratie, celle de Cherbuliez et non celle de Tocqueville, celle où le peuple est le vrai « démos » de la démocratie. La classe politique a été prise dans cette crise, à contre-pied. Les débats, sur tous les médias, non seulement ont montré la grande fracture, ou si on parle comme Bachelard, « la grande rupture », ils ont montré aussi une certaine déconnexion logique et argumentative, non seulement, encore, du côté du gouvernement, des parlementaires, députés et sénateurs, des élus locaux et des fonctionnaires, hauts et bas, de l’administration élue et désignée, mais aussi de beaucoup de politiciens (animateurs politiques, partisans et non-affiliés) et de plusieurs journalistes. La déconnexion argumentative devient une logique de positionnement : on ne cherche aucunement et jamais « la Vérité », « l’Utilité » et « le Bon Sens ». Ces notions sont « rejetées » presque par tout le monde. Et tous défendent plus des positions préétablies fondées sur des idéologies ou des opinions/points de vue. Un pédagogue remarquera aisément que les interrogés répondent plutôt à leurs propres questions qu’aux questions qui sont posées par les débats.
Enfin, dans le débat qui n’en est plus un ! Tout le monde parle ; on crie plus qu’on parle, et donc s’agit-il vraiment d’un débat ? Dans le tiers-monde, on appelle au débat quand on ne veut pas régler un problème : on invite les gens à parler, à dire tout et n’importe quoi et à « tourner autour du pot » sans pouvoir y accéder. Dans le tiers-monde, aussi, le débat télévisé, la plupart du temps proposé et dirigé par les gouvernants, n’est qu’un prétexte pour occuper le temps et donner le leurre de la quête de solution. La France a tendance à agir dans la même direction. Tout observateur réellement indépendant pourra remarquer que tous les débats, surtout celui proposé par l’autorité supérieure du pays, ont tendance à dévier : au lieu d'être un moment d’écoute, d'échange et de rectification, il devient un pur moment de justification et d'insistance d’un côté, puis de condamnation et d’exclusion, de l’autre.
La France vit en plein débat d’exclusion, au nom de la démocratie, tout comme cela se fait dans le tiers-monde. Le bas peuple, en pleine revendication, est débattu, discuté, analysé, mais pire, il est accusé, condamné, remis en quarantaine, une mise qui se transforme pour une bonne partie en une certaine mise à l’index. Cela s’est produit déjà dans l’histoire « révolutionnaire » de la France, mais avant qu’il n’y de tiers-monde ou de premier-monde ! Assimiler le peuple à la racaille, aux casseurs est la voie de la condamnation, la clef de l’anti-démocratie, le chemin vers l’établissement des oligarchies, des autocraties, mais aussi l’échelle qui ne permet pas de monter, mais d’aller vers le bas !!!